Aussi loin que je me souvienne, passé l’âge où l’on veut devenir boulangère pour avoir plein de bonbons, je voulais être Reporter. Faire le tour du monde, rencontrer des gens qui ne vivent pas comme moi, voir avec mes yeux ces paysages que l’on voit que dans les magazines Géo ou National Géographique.
Quand j’étais enfant, on me disait souvent qu’il y avait des mômes qui crevaient de faim en Afrique et donc que ce serait bien que je finisse mon assiette. Moi je n’ai jamais compris en quoi finir mon assiette allait nourrir les petits africains. Une façon maladroite sûrement de vouloir apprendre la gratitude aux enfants.
J’étais curieuse et inquiète surtout. Je voulais voir la guerre, la misère aussi, pouvoir témoigner. Regardez un peu ce qui se passe là-bas ? Comment peut-on vivre heureux quand l’autre moitié du monde souffre ? Terrible sentiment d’impuissance qui se transforme en indifférence. J’ai chanté en boucle la chanson de Renaud : « Dis Papa quand est ce qu’il passe le marchand de Cailloux, j’en voudrais dans mes godasses à la place des joujoux, avec mes copines en classe on comprend pas tout pourquoi des gros dégueulasses font du mal partout».
Puis j’ai grandi et petit à petit on m’a expliqué que comme j’étais bonne à l’école, je pourrais faire des grandes études pour travailler dans un bureau et que c’est ça la réussite. Très vite j’aurais un bon salaire, un mari, une maison et des enfants…
Papa ouvrier, Maman infirmière, j’ai vu mes parents galérer. A 14 ans, j’étais furax qu’ils ne puissent pas m’acheter la dernière paire de Doc Martens à la mode. Merci à cette société de l’image et de la consommation qui semblait grignoter petit à petit toutes ces belles valeurs naturelles de justice, de liberté et d’humanité…
Je me suis toujours sentie tellement différente… j’avais tellement envie de faire partie du groupe… alors j’ai fait comme les autres… Plus ou moins !
J’ai fait une prépa et on se moquait de moi car mes dissertations d’économie ressemblait plus au programme du FO qu’à l’apologie du capitalisme. Plus tard en Ecole de Commerce quand tous mes copains sont partis en Erasmus faire la fête dans un pays fun, moi j’ai pris mon sac à dos pour faire de l’humanitaire en Inde. Enfin à la sortie d’école, quand la plupart de mes amis ont signé un beau CDI de Manager pour un gros groupe du CAC 40 moi je suis partie dans le tourisme avec un salaire qui a dû faire baisser les statistiques du « salaire moyen sorti d’école ».
Bref pourquoi je vous raconte ça ?
Aujourd’hui avec mon association, j’anime notamment des ateliers philo pour enfants dans les écoles. Avec mon groupe de collégiens, il y a quelques semaines on a échangé autour d’une citation de Freud : « Le bonheur est un rêve d’enfant réalisé dans l’âge adulte. »
Ils n’ont pas 14 ans, ils sont pourtant unanimes… C’est impossible de réaliser son rêve d’enfant. Elliott voulait être astronaute, mais on lui a fait comprendre que c’était trop dur et qu’il n’y arriverait pas alors il a choisi un métier plus « raisonnable ». Lou voudrait être artiste, mais on lui a expliqué que ce n’était pas un métier mais un loisir. Et le pire c’est que la majorité d’entre eux n’a aucune idée de ce qu’il voudrait faire (et c’est bien normal). Ils portent tous une pression énorme sur leurs épaules. (WTF ils n’ont même pas 14 ans ?!?) Il faut trouver, il faut choisir un métier, et idéalement un métier qui paye bien comme ça tu auras plein d’argent, tu pourras avoir une belle maison, un mari, une femme, des enfants et tu seras heureux.
Car oui elle est là l’histoire qui se raconte depuis la maternelle… il faut bien travailler à l’école, pour avoir un bon travail, de l’argent et donc être heureux.
Elle est belle cette histoire… tout le monde y croit, le PIB augmente mais l’indicateur bonheur ?
Perso, j’ai presque tout fait bien et bien coché les cases : voyages, mariage, maison, burn-out, enfants magnifiques, bon boulot, jolie maison, crédit sur 25 ans,… Pendant que mon père et ma mère arrivaient tous les 2 à la retraite en boitant car le travail les avait trop abimés…
Et pourtant à 33 ans avec mon mari on a définitivement compris que cette histoire ne nous rendrait pas heureux et que ce n’est pas cette histoire que l’on voulait transmettre à nos enfants.
Cette histoire rend la majorité des gens malheureux et détruit le vivant, et notre planète ! Il fallait nourrir un autre récit… alors on a démissionné, vendu la maison et on est partis dans un trou paumé en plein milieu de la nature. La suite vous la connaissez.
Aujourd’hui je me demande souvent ce que la petite Julie de 10 ans aurait à dire à la grande Julie de bientôt 40 ans. La petite Julie de 10 ans adorait jouer dans la forêt, lire des livres, et parler aux arbres. La Julie de 20 ans est partie conquérir le monde avant de se faire rattraper par les injonctions de la société, rentrer dans le moule, faire ce que l’on attendait d’elle… jusqu’à ce que la dissonance soit trop forte, insupportable.
Il n’est jamais trop tard pour refaire de la place à l’enfant qui est en nous ! Nous avons tous notre histoire, notre chemin et le droit de vivre la vie que nous avons vraiment choisie. Tous les jours je lis des histoires d’ingénieurs qui deviennent fromagers, d’avocats qui deviennent maraichers,…
Aujourd’hui, j’ai écrit une lettre à la Julie de 50 ans grâce à l’outil https://www.futureme.org/ et vous qu’avez-vous à vous dire ?
“Ne cherche pas le chemin du bonheur, car le bonheur C’EST le chemin !” – Anonyme